Revoilà enfin le printemps ! Comme chaque année, c’est une joyeuse mobilisation, un même branle-bas le combat dans les potagers et les champs de Douxville. Il faut semer, semer et encore semer. Semer sous abris, semer dans les potagers et semer dans les champs. Beaucoup de monde dans la campagne environnante, quelques engins agricoles et quelques animaux de trait pour les travaux lourds. Chaque année c’est la même joie et la même fête avec le retour des bourgeons.
L’école aux champs
Les enfants ne sont pas les derniers à déposer des petites graines dans des mottes toutes prêtes. Dès leur plus jeune âge, ils se familiarisent avec l’agriculture, cette activité essentielle qui leur permet de faire pousser les choses qu’ils aimeront manger ! À dix ans ils connaissent déjà les détails de l’agroécologie et de l’agroforesterie. Ils savent que tous les déchets du vivant sont des fertilisants précieux, même les déchets des animaux et des humains. Bien traités, ils enrichiront les cultures et garantiront de belles récoltes. Plus besoin de gaz ni de pétrole pour synthétiser des engrais. Ils savent reconnaître les semences de courgette, de laitue ou de blé et ils ont activement participé à la récolte soigneuse des graines l’an passé. En 2048, il n’y a plus de catalogue officiel des semences autorisées à la vente, plus de monopole jalousement couvé par les industries semencières. Les “variétés anciennes” sont ressorties des tiroirs et chacun peut récolter, sélectionner, donner ou vendre les semences qu’il veut. Cette liberté a permis le retour d’une très grande variété de légumes, adaptés aux différents sols et aux différents climats, foi de chercheur en agronomie. Au début du siècle, l’uniformisation des variétés de céréalières avait fait oublier le goût du vrai bon pain. Maintenant, on l’a retrouvé. Miam !
Loin de négliger l’école, les activités potagères permettent aux enfants de démontrer tout leur savoir faire en écriture et en calcul, toutes choses apprises en classe. Mesurer la longueur des lignes, la surface des bandes, calculer le poids de semences nécessaires, peser les semences puis noter le tout dans le grand cahier des semis, mémoire de leurs petits et grands succès. Guidés par un agronome aguerri et pédagogue, les jeunes découvrent aussi le monde du vivant , les genres et les espèces, la sexualité végétale et quelques mots bizarres comme les cotylédons (mono- ou di-). Ils comprennent l’importance des cycles de l’oxygène, de l’eau, du carbone, de l’azote ou du phosphore. Ils découvrent que tout interagit avec tout dans un écosystème qui abrite plantes, animaux et … humains. Tout est très clair pour eux : préserver les écosystèmes c’est préserver leur avenir.
Travaux printaniers
Dans la ceinture maraîchère, dans les serres et dans les potagers urbains, les habitants sèment un peu de tout. Des haricots et des pois, des carottes et des courgettes, des bettes et du céleri, des tomates, des poivrons et des piments, des pommes-de-terre et des topinambours. Ils disposent de tant de légumes divers et variés qu’il serait impossible de les citer tous. Chacun a ses petites préférences et quelques audacieux s’essayent à de nouvelles variétés de légumes jusqu’ici inconnus à Douxville. Des arbres fruitiers et des massifs de fruits rouges sont disséminés entre les parterres, dans les vergers ou dans les haies le long des chemins. Ils commencent à fièrement montrer leurs bourgeons printaniers. Leur taille d’hiver les a rendu vigoureux et ils sont la promesse de beaux fruits, de belles compotes et de délicieuses confitures. Un peu plus loin, dans les champs, quelques petits tracteurs aident au semis du lin, à celui de la betterave sucrière et du tournesol. Le blé, le colza et quelques autres céréales ont déjà été semés en novembre. Pour le maïs, il faut attendre encore un peu.
Chaque habitant possède la plupart des outils qu’il utilise au quotidien pour cultiver. Question outils ou machines à usage moins fréquent ou à usage saisonnier, ces outils et machines qui rendent les travaux agricoles bien plus aisés, la plupart des Douxvillois préfèrent les partager ou les louer. Ils peuvent ainsi par exemple faire usage d’une machine à produire des mottes de semis. Le terreau y est déversé et triturée par une vis sans fin, puis mouillé à point avant de remonter dans des moules qui le pressent et lui donnent la forme de cubes. Ceux-ci sont marqués sur l’une de leurs faces d’une dépression bien centrée dans laquelle on place la graine1.
Diverses coopératives agricoles se sont ainsi créées lorsque des habitants se sont regroupés selon leurs goûts et leurs affinités. Ces coopératives se sont progressivement dotées de tous les équipements perfectionnés qui permettent de cultiver de grosses quantités avec moins de fatigue. Même si ce matériel est particulièrement robuste, il doit être soigneusement entretenu et réparé pour pouvoir durer quasi indéfiniment. Heureusement, pour les grosses réparations, il y a un atelier de mécanique à Douxville !
Partage du territoire
Sur les cinq mille hectares que compte le territoire de Douxville, deux cents sont occupés par la ville urbanisée. Les équipements collectifs et, en particulier, les cours d’eau et les voies de communication, chemins, routes et voies ferrées occupent l’une ou l’autre centaine d’hectares. Le reste, ce sont les cultures, les prairies et les bois, sillonnés par des chemins (cyclables) et des sentiers.
Autour de la ville, dans la ceinture potagère, les cultures de légumes occupent en tout une trentaine d’hectares. En complément, il y a les potagers urbains. Ils sont particulièrement nombreux tant il est agréable de contempler ses légumes depuis sa fenêtre et de pouvoir aller désherber les plates-bandes en quelques enjambées.
Les cultures des denrées de base sont situées au-delà de la ceinture potagère. On y trouve céréales, pomme de terres, maïs et légumineuses. Elles s’étendent sur deux ou trois centaines d’hectares. Blé, froment, seigle et maïs pour les farines. Plantes oléagineuses et betteraves sucrières pour l’huile et le sucre. Et, cerise sur le gâteau, houblon ou vigne pour de doux breuvages … à consommer toutefois avec modération.
A ces cultures alimentaires il faut encore ajouter les cultures de lin, de chanvre et d’osier pour la fabrication de textiles et de certains objets usuels. Enfin, il y a aussi les cultures destinées à produire du carburant, surtout des cultures de colza ou de betterave. C’est ce carburant qui permet d’utiliser quelques engins agricoles et quelques engins pour les travaux urbains, le transport ou pour assurer les secours. Ce carburant permet même d’alimenter une mini centrale électrique qui garantit le minimum absolu de production d’électricité quand il n’y a ni vent ni soleil. Mais il faut être raisonnable car avec une production annuelle de 1.000 litres de carburant par hectare de culture, des choix parfois difficiles s’imposent.
On ne parlera pas ici de tous les services que rendent les bois et forêts qui forment la dernière couronne du territoire urbain. Finalement, à force d’obstination et d’initiatives multiples les habitants arrivent à produire toute leur alimentation sur environ 40 % du territoire. Et il y a même un petit extra en matières premières végétales et en carburant. Ne nous cachons pas que pour y arriver, sans engrais ni pesticide, il a fallu accumuler une solide dose de savoirs et de compétences sur différentes formes d’agriculture écologique. Heureusement, les scientifiques des facultés d’agronomie entretiennent le patrimoine des meilleurs savoirs, ceux du passé et ceux d’aujourd’hui. Nombreux sont les Douxvillois à avoir suivi leurs enseignements à l’université.
Pour rappel, en 2048, la terre n’est plus à vendre. Personne n’est propriétaire de la terre qu’il occupe ou qu’il exploite. Elle est un bien commun géré par la communauté urbaine. La répartition se fait en fonction des demandes des habitants, des disponibilités et des contraintes de voisinage. Ainsi, chacun a le libre usage d’un peu de terrain, à l’aune de ses besoins et de ses forces, pour y habiter et pour y exercer ses activités. Toutes les familles possèdent un logement et la plupart possèdent aussi un jardin-potager. Chaque famille peut encore disposer d’un terrain pour ses activités productives propres. Cependant, beaucoup d’habitants ont préféré gérer en commun ces parcelles en les regroupant avec celles d’autres habitants. Il est ainsi beaucoup plus facile de se partager le travail et de disposer d’outils efficaces. Cependant, il ne faut pas le nier, les rapports sociaux peuvent parfois être fort problématiques. Ça dépend beaucoup d’une coopérative à l’autre, de son mode de fonctionnement et du doigté de ses animateurs. Malgré tout, l’intérêt de la formule explique le très grand nombre de sociétés coopératives de tous types que l’on rencontre à Douxville. À tout bout de champ si l’on peut dire.
La vie reste une aventure passionnante !
- Horrible plagiat d’une phrase sortie de l’excellent site reporterre.net. ↩
Douxville : quelle empreinte écologique pour quelle biocapacité ?
Pour se procurer ce dont ils ont besoin, les 7.500 habitants de Douxville privilégient une production locale. Ils s’appuient pour cela sur l’exploitation des champs, de prairies et de bois qui entourent la ville. Par ailleurs, ils veillent à ne pas aggraver le problème des gaz à effet de serre dans l’atmosphère ni la biodiversité en réservant une proportion suffisante de leur territoire à la séquestration par des forêts du CO2 atmosphérique qu’ils émettent. Dans la contrée où se trouve de Douxville, les villes sont distantes l’une de l’autre d’environ 7 à 8 km. Chacune de ces villes bénéficie donc d’un territoire d’environ 50 km2, c’est-à-dire 5.000 hectares.
Dans cet article, nous allons nous questionner sur ce que représentent ces 5.000 hectares par rapport au niveau de consommation des habitants de Douxville. Nous utiliserons pour cela les concepts d’empreinte écologique et de biocapacité. Ces notions sont développées et mises en œuvre dans le site de l’organisation Global Footprint Network. L’empreinte écologique d’un habitant de Douxville est le nombre d’hectares requis pour satisfaire la demande qu’il adresse à la nature, non seulement pour assurer son existence (nourriture, habillement, logement, infrastructure, services, etc.), mais également équilibrer sa consommation de combustibles fossiles par une séquestration du CO2 équivalente à son émission de gaz à effet de serre. L’empreinte écologique s’exprime en hectares globaux (unité : hag), c’est-à-dire le nombre d’hectares fictifs qui auraient une productivité identique à la productivité moyenne de toutes les surfaces productives accessible à l’homme sur la planète (y compris les parties des mers accessibles pour la bioproduction). Les hectares globaux rendent donc comparable, à l’échelle globale, la demande de chaque habitant de la planète, qu’il soit d’une région où les sols sont riches et les conditions climatiques favorables ou d’une région peu propice, qu’il vive dans une société développée avec un haut standard de vie et un fort niveau de consommation, ou dans une société moins développée, où les conditions de vie sont plus modestes et la consommation reste modérée.
La biocapacité est ce que la nature est capable de fournir en termes de production végétale et services écologiques (dont la séquestration de CO2) dans une région donnée du globe. Elle s’exprime, tout comme l’empreinte écologique, en hectares globaux par personne, c’est-à-dire en hectares fictifs ayant une productivité qui correspond à la productivité moyenne mondiale des surfaces accessibles à l’homme divisé par le nombre d’habitants. Le fait que l’empreinte écologique et la biocapacité s’expriment toutes les deux dans les mêmes unités permet de les comparer. Si l’on partage le nombre total d’hectares disponibles sur la planète par le nombre d’habitants de la planète, on trouve qu’il y a 1,7 hag par personne. Évidemment, si l’humanité dans son ensemble avait une empreinte écologique de 1,7 hag par personne, la demande due à consommation de ressources et d’énergie serait équilibrée par la capacité de production et de régénération la Terre. Cette empreinte de 1,7 hag pour chaque habitant de la planète constitue ce que l’on appelle l’empreinte écologique équitable, et ceci pour deux raisons :
Il est important de réaliser que le « capital naturel » est non renouvelable, du moins si on le considère à une échelle de temps correspondant à la durée de vie d’une civilisation. Il suffit de penser à la perte de la biodiversité, la destruction des sols ou l’injection par l’homme du CO2 dans l’atmosphère et les océans, qui ont un caractère irréversible à cette échelle de temps.
Actuellement, seules les populations les plus pauvres ont une empreinte par habitant inférieure à 1,7 hag. Ce seuil de 1,7 correspond, par exemple, à l’empreinte écologique des habitants du Maroc. Remarquons également que seuls de très rares pays dans le monde (Sri Lanka, République dominicaine et Géorgie) parviennent actuellement à garder une empreinte écologique inférieure ou égale à 1,7 hag et atteindre un HDI (United Nations Human Development Index) de 0,7. Le HDI, qui mesure les performances moyennes d’un pays dans les domaines de la santé, le savoir et le standard de vie. Un HDI supérieur à 0,7 est considéré comme un « développement humain élevé ». Il est actuellement de 0,89 en Belgique.
L’empreinte écologique moyenne des habitants de la planète est de 2,8 hag (ce qui correspond, par exemple, à la Roumanie, l’Iran ou l’Ukraine). Ceci veut dire que la consommation de l’humanité excède de 60% les capacités de production et de régénération de la planète. Elle consomme son capital, qui n’est pas renouvelable, et vit à crédit en accumulant une dette que ne pourront malheureusement pas apurer les générations futures. L’empreinte écologique des Belges est, en 2013, de 6,9 hag par personne, c’est-à-dire 300% de plus que l’empreinte équitable.
Est-il possible pour les habitants de Douxville de vivre de façon durable sur leurs 5.000 ha, et même plus, de façon équitable ? Pour examiner ceci, il s’agit tout d’abord de comparer leur empreinte écologique avec la biocapacité de ces 5.000 ha. Cela permettra de se rendre compte, dans un premier temps, s’il est possible pour 7.500 personnes de vivre de façon durable sur un territoire de 5.000 ha.
Posons-nous tout d’abord la question suivant : quelle est la biocapacité, exprimée en hag/habitant, de ces 5.000 ha ? Supposons que Douxville se situe en Wallonie. Il s’agit de trouver le facteur par lequel il faut multiplier le nombre d’hectares par personne à Douxville (en Wallonie) pour obtenir le nombre d’hectares globaux équivalent. Selon le rapport de l’INEPS (Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique), la biocapacité de Wallonie 2012 est de 2,22 hag/habitant. Le nombre d’habitants en Wallonie étant de 3,6 millions, il y a donc de 7,9 millions de hag de biocapacité au total sur le territoire wallon. En divisant cette biocapacité globale par la superficie en ha de la Wallonie (1.680.000 ha), on trouve qu’un hectare de territoire wallon fournit le même service que 4,7 hectares moyens au niveau mondial. Cette valeur élevée reflète la bonne fertilité des sols, des conditions climatiques favorables, l’efficacité des systèmes agricoles et l’extension des zones forestières en Wallonie. Chaque habitant de Douxville bénéficie de 5.000 ha / 7.500 habitants = 0,67 ha, ce qui correspond à 0,67 ha X 4,7 = 3,13 hag. Pour être en équilibre avec la biocapacité de son territoire, chaque habitant de Douxville doit donc avoir une empreinte écologique qui ne dépasse pas 3,13 hag. Cette empreinte écologique correspond à celle d’une personne vivant en Bolivie, au Brésil ou en Argentine. Ceci étant, cette empreinte écologique est encore très supérieure à l’empreinte écologique équitable qui est de 1,7 hag. Si les habitants de Douxville décident de vivre avec une empreinte écologique de 3,13 hag, ils constituent à l’échelle locale, en Wallonie, une société en équilibre avec les capacités naturelles locales. Cependant, ce faisant, ils accaparent à leur bénéfice exclusif 3,13 – 1,7 = 1,43 hectares globaux auxquels les autres habitants de la planète n’auront pas accès. Pour rétablir une justice à ce propos, Douxville pourrait, par exemple, décider d’accueillir des personnes voulant émigrer de leurs contrées dont la biocapacité serait inférieure à 1,7 hag (par exemple, à cause d’une surpopulation ou de conditions agroclimatiques défavorables) pour venir s’installer à Douxville. La population de Douxville pourrait s’élever dans ce cas à 12.750 habitants.
Une correction sur le dernier chiffre donné ci-dessus.
Si les habitants de Douxville parviennent à diminuer leur empreinte écologique jusqu’à atteindre l’empreinte équitable de 1.7 gha, le territoire de la ville de 5.000 ha permettra à la ville de compter jusqu’à 13.800 habitants (et non 12.75, comme dit précédemment).
Par contre, si les habitants de Douxville décident de continuer à vivent comme l’ensemble des Belges actuellement avec une empreinte écologique de 6.9 gha, le territoire de la ville de 5.000 ha ne permettra qu’à 3.400 personnes d’y vivre de façon durable.