Ce n’est pas pour nous vanter mais il y a même une filature du hibou à Douxville ! Tous les moutons du pays en ont entendu parler et toutes les toisons des environs y passent. Lorsqu’en mai ou juin les humains quittent leur petite laine, les moutons sont enchantés de voir arriver leur habile tondeur car il va les délester de cette toison devenue encombrante. Eux aussi aiment leur confort et, question hygiène, il n’y a pas mieux. Certains autres animaux à fourrure sont aussi heureux de participer à cette tradition. Les toisons sont ensuite acheminées vers la filature, par le train-tram ou par la route.
La Filature du Hibou est une filature de fibres naturelles maîtrisant toutes les étapes de transformation, du lavage jusqu’au fil à tricoter. [… Elle] offre, à l’issue de nombreuses étapes de transformation, un produit 100% laine respectant parfaitement la fibre d’origine. Ce produit de haute qualité est réalisable grâce à l’équipement Mini Mill unique.
Frédérique a imaginé et démarré la filature il y a bien des années. Aujourd’hui, elle la gère avec quelques collègues. En outre, comme chaque habitant, sa vie est faite de diverses occupations, variant selon le temps et la saison. Elle a souhaité faire partie de l’équipe d’entretien des chemins qui œuvre un jour par semaine. Car elle aime parcourir la campagne par tous les temps et ne rechigne pas à mettre la main à la pâte. D’autre part, ses compétences dans les échanges commerciaux de la laine avec d’autres villes l’ont tout naturellement conduite à s’engager dans la Commission du commerce régional. Le reste du temps est consacré à la vie de famille, à son potager et aux autres travaux domestiques.
Du mouton à la laine
Les moutons apprécient de joindre l’utile à l’agréable. Enfin, c’est ce que pensent les humains. On les installe donc de temps à autre sur les espaces publics enherbés afin qu’ils leur fassent une petite coupe rase. Leur présence fait alors la joie des petits et, si nécessaire, le berger organise une première prise de contact avec les plus hésitants.
L’atelier de tricot pour les enfants se tient chaque semaine à la bibliothèque publique. Il rencontre un vif succès. Les plus petits, ainsi que leurs mamans, attendent avec impatience leur septième anniversaire pour enfin pouvoir participer à cette activité ludique et commencer leurs premières œuvres en tricot. Dès que les premiers pas sont franchis et que les premières lignes sans faute sont réussies, chacun veut démarrer son projet personnel, à l’aide d’un petit tutoriel. Ce sont surtout le « crocodile » et le « loup » qui attirent les enfants et ils tiennent absolument à réaliser « leur » animal. Les modèles qu’ils voient les font rêver. Sans douter un seul instant du succès final, ils se lancent alors dans l’aventure.
Il va sans dire que l’art du tricot est très répandu et qu’il s’agit là d’un des passe-temps d’hiver favoris des habitants. Comme dans beaucoup de villes, des mamys s’en sont donné à cœur joie. Certaines vont jusqu’à « habiller » des colonnes ou des murs des lieux publics, un peu comme des Banksy du troisième âge ! Elles veillent cependant à l’entretien de leurs œuvres car elles savent combien la laine est un bien précieux.
L’atelier
La filature est installée dans un ancien garage qu’on a d’abord complètement nettoyé puis retapé. Les locaux se composent d’un espace de stockage, d’un espace de lavage, d’un grand atelier et d’un magasin.
Les toisons sont d’abord nettoyées et dégraissées. Une petite chaudière à bois fournit l’eau chaude nécessaire tout en assurant un chauffage minimum des locaux en hiver. La toison est ensuite très soigneusement séchée au soleil avant d’être stockée. Par après, la laine est cardée puis filées ou feutrées. Chacune de ces étapes est réalisée à l’aide d’une machine particulièrement adaptée. Par exemple, la fileuse produit huit fils en parallèle, sans intervention humaine. Et si un fil vient à casser, une cellule photoélectrique le détecte et arrête immédiatement le filage. Ce machines sont fabriquées très loin d’ici par Mini-mills, une entreprise de taille moyenne.
Si ces machines sont petites elles sont aussi très perfectionnées. De plus, elles ont été conçues pour être increvables, simples à entretenir et à réparer. Après un petit stage, chaque associé de la filature est à même de procéder aux opérations d’entretien et à la plupart des réparations. Les pièces de rechange étant des éléments standards, utilisées un peu partout et dans différents domaines et qu’on peut donc trouver assez facilement. Il est bien arrivé une fois qu’il faille faire appel aux compétences de l’Atelier de Mécanique de Douxville, suite à un accident qui avait brisé le châssis d’une machine. Une petite pièce d’acier en renfort et une belle soudure plus tard, tout était en ordre.
Enfin, il y a le magasin de la filature. C’est un lieu où l’on cause car c’est là que les habitants viennent choisir les pelotes ou le feutre pour habiller leurs familles ou leurs clients. Des détaillants d’autres villes viennent aussi y reconstituer leur stock une ou deux fois par an. Les couleurs de laine sont très variées. Il y a bien sûr toutes les couleurs naturelles, du noir au blanc en passant par toutes les nuances de gris, de brun, de beige, d’ocre ou de roux. Ces couleurs sont obtenues en triant dès le départ les toisons dont les couleurs sont naturellement très variées. Certaines autres teintes peuvent être obtenues en trempant la laine dans des bacs de colorants naturels, garance, indigo ou autres.
Technique à taille humaine
La filature du hibou est un condensé de toutes ces qualités qui distinguent les petites entreprises qui ont émergé un peu partout durant la transition.
- D’abord, la technique de pointe et la fine mécanique sont la règle. Tout est pensé pour aider et faciliter le travail.
- Ensuite, l’entreprise est réellement à taille humaine. Les quelques artisans ont un contrôle direct sur leur travail. Ils procèdent eux-mêmes à l’entretien et à la plupart des réparations. Tout a été conçu pour ça. Ici, la machine est réellement au service de l’artisan, ce n’est pas l’homme qui est au service de la machine mais la machine qui est au service de l’homme (l’outil convivial de Ivan Illich).
- Enfin, les impacts sur l’environnement sont très, très minimes car absolument tous les produits utilisés, savons, teintures, etc. sont des produits naturels, peu toxiques pour l’environnement. Et l’eau de lavage de la laine est épurée par lagunage.
Les machines, moteurs et appareils qui datent du 20e siècle ne sont pas rares à Douxville ! Amoureusement entretenus et réparés, ils dépassent facilement les cinquante ans de bons et loyaux services. Fini le temps de l’obsolescence programmée. Aujourd’hui, les associations d’utilisateurs sont membres de plein droit des conseils d’administration des entreprises manufacturières. C’est la loi ! Elles veillent au grain et participent activement à la définition du cahier des charges de tout ce qui est produit par l’entreprise. Les choses on bien changé par rapport au début du siècle ! Pour définir ce qui est désirable, les représentants de l’environnement et des générations futures sont particulièrement vigilants. Eux aussi sont membres de plein droit des conseils d’administration. Ils sont très attentifs à ce que les produits soient réellement durables, au sens propre : durée de vie maximale, réparabilité maximale mais consommation d’énergie minimale et impact sur l’environnement des plus réduit. Les discussions au CA sont parfois agitées !
Rendons à César…
Soyons honnêtes, la Filature du Hibou existe vraiment, depuis 2009, près de Namur ! J’avais été très frappé par l’alliance vertueuse entre une technique de pointe et un fonctionnement très soucieux de la nature et de l’humain.
Et puis, Mini-mills, le fabriquant de cette collection de petites machines pour le travail de la laine existe déjà lui aussi. Il est canadien.
J’ai eu l’occasion de travailler brièvement dans le textile Verviétois (HDB 1823) et de découvrir ce monde « caché » du grand public en général.
Est-ce mieux un grosse usine a haut rendement énergétique ou mille petites avec un rendement moindre ? Le travail du textile est franchement pénible et abrutissant tel que je l’ai connu en Flandre. Passé l’effet de « nouveauté » les gens voudront-ils continuer ? Et il faut très peu de main d’œuvre (avant l’assemblage final pour ce qui est de l’habillement).
Dans les usines flamandes, on aurait supprimé les petits chefs à la solde des actionnaires, le travail aurait été franchement plus… convivial. Encore pire en Asie. De mon expérience personnelle ce n’est pas tant un souci technique mais plutôt sociologique.
Dans le film demain, on ne voit pas non plus les usines qui fabriquent les jeans de la plupart des acteurs du film, pas plus que celles qui fabriquent les roulements à billes. C’est encore plus discret que la sidérurgie.
J’ai l’impression que les techniques sont aussi abouties dans le textile voire plus que dans l’automobile. Je n’ai pas perçu de grandes révolutions technologiques. La dernière petite évolution en 2000 était le non tissé : on supprime tout le process compliqué du filage et du tissage. Ça marche bien pour les carpettes dans les bureaux, les voitures… et les lodens. 😉
On ne peut pas couvrir non plus la Belgique de champs de coton ou de pâturages à moutons, pareil que les éoliennes. Je n’ai pas fait le calcul. Si on supprime tous les textiles non renouvelables… et qu’on rend nos textiles un peu plus durables.