L’optimisme de la volonté associé au pessimisme de la raison serait une maxime assez proche de mon état d’esprit. 1
Je suis un grand-père, bricoleur et bénévole au Repair Café, randonneur à vélo et cultivateur d’incroyables comestibles, ingénieur énergéticien et scientifique interdisciplinaire, chercheur et collapsologue (?!). Une vie bien occupée. Dans l’action et le concret de la vie matérielle au jour le jour. Dans la réflexion et le débat, surtout rationnel, interdisciplinaire et contradictoire, menés au fil des années. Le point commun à ces deux démarches ? C’est bien sûr la transition, écologique et sociale.
Prémices
En Mai 68, j’étais étudiant ingénieur à Leuven. Avec une foule de jeunes, nous pressentions que la société évoluait dans une mauvaise direction, excessivement matérielle et guerrière, bien trop peu solidaire et respectueuse de la Nature.
The Limits to Growth parut peu après. Même si je ne l’avais pas encore lu à l’époque, il ne faisait que confirmer les constats de beaucoup de jeunes qu’il fallait profondément modifier l’organisation matérielle de nos sociétés sous peine d’aller droit dans le mur. La raison montrait à l’évidence que la croissance économique ininterrompue ne pouvait mener qu’à une impasse. Dans ma grande naïveté, j’avais alors pensé que nos sages Professeurs et nos Politiciens éclairés ne pouvaient qu’avoir fait le même constat et qu’ils n’allaient pas tarder à y remédier. Aucune raison de s’inquiéter donc. On connaît la suite…
A suivi, une carrière d’ingénieur puis d’ingénieur-conseil, essentiellement dans le domaine des énergies, en Afrique et en Belgique.
Cependant, les contacts n’ont jamais été rompus avec mon Alma Mater. Ils se sont au contraire résolument intensifiés. Et depuis la fin des années 90, je consacre une grande partie de mon temps aux recherches scientifiques. Elles m’ont amené aujourd’hui à ce blog, en étroite collaboration avec des chercheurs de différentes disciplines.
Fil d’Ariane
Au départ, l’ambition a été de faire un bilan des différentes techniques énergétiques susceptibles d’apporter une réponse aux menaces du réchauffement climatique (entre autres dérèglements de la biosphère). Il s’agissait en gros d’examiner de près les sources d’énergie, de tous types. Vint ensuite l’ambition d’améliorer substantiellement l’efficacité énergétique. De combien peut-on raisonnablement encore augmenter le rendement d’un moteur, d’une éolienne, d’un panneau photovoltaïque, de la production de l’acier, du béton, des matières plastiques, etc.. Ce fut l’occasion de la création du groupe ORMEE.
Assez rapidement cependant vint le constat que les efforts techniques contribuaient plutôt à augmenter la consommation d’énergie totale qu’à la diminuer. C’est là toute la magie de l’économie ! Il fallut alors se plonger dans les modèles macroéconomiques et les diverses théories de la croissance, dans la monnaie et la finance. Avec la découverte de l’aspect très idéologique des théories économiques, avec leurs orthodoxes et leurs hétérodoxes. Ces hétérodoxies étant par ailleurs elles-mêmes diverses. Tout un univers de discours variés dont les fondements rationnels sont malheureusement souvent assez faibles. Avec le regret que l’essentielle économie politique se retrouve aujourd’hui fort négligée, rangée au fond des tiroirs de l’histoire de la pensée économique.
Moins mathématiques mais pas moins intéressantes sont l’économie historique, avec « La grande transformation« , l’ouvrage majeur de Karl Polanyi, mais aussi les travaux de Fernand Braudel, Max Weber, etc.. Et puis il y a, parmi bien d’autres courants de pensée économique, la théorie de la régulation, avec le rôle (crucial !) des institutions ainsi que l’économie écologique, la seule école qui traite des ressources naturelles conformément aux lois de la physique. Nonobstant tous ces courants et toutes ces chapelles, l’économie reste bien l’étude de l’organisation matérielle de nos sociétés : production, distribution, consommation. C’est donc, à côté de la technique, une question centrale autant que cruciale pour la transition.
Mais derrière l’économie et la technique, c’est néanmoins l’humain qui est au cœur du sujet, avec ses besoins, ses comportements, ses projets, ses motivations, ses croyances et ses rêves. D’autres disciplines doivent donc être interrogées, à commencer par la sociologie, l’anthropologie et la philosophie. Quelles sont les motivations humaines ? Qu’en est-il de l’avidité ou de la cupidité ? Comment fonctionnent les rapports sociaux, en ce compris les rapports de force ? Comment fonctionnent les sociétés et les institutions 2, tant politiques qu’économiques ou juridiques. Quels ont été les différents systèmes d’organisation politique et économique d’ici et d’ailleurs, d’aujourd’hui et d’hier ? Quels enseignements en tirer pour les systèmes d’organisation de demain ? Cette longue réflexion interdisciplinaire fut à peine entamée par le groupe QuelFutur puis, un peu plus tard, par le GRICE.
La grande richesse des groupes de réflexion académiques me laisse cependant un goût de trop peu. Trop de tabous économiques et institutionnels d’une part. Beaucoup de constats sur le passé et bien trop peu de propositions substantielles pour l’avenir d’autre part. C’est pourquoi des membres de ces groupes considèrent qu’on peut (et qu’il faut) aller plus loin.
La suite logique a donc été ce blog de Douxville.
Bonne lecture.
- « Il faut allier le pessimisme de la raison à l’optimisme de la volonté », a écrit Antonio Gramsci dans ses carnets de prison. ↩
- Au sens de la sociologie, i.e. l’ensemble des règles du jeu, règles légales ou coutumières, qui organisent une société ou un État. ↩